Un accessoire aérien : les éventails en plumes

Du pouvoir au Luxe en passant par l'Exotisme

Au carnaval comme au cabaret, une rosace en plumes évoque la fête et la libération des corps. La plume qui caresse, bouge, ondule et se courbe avec grâce au gré du moindre souffle de vent, possède un pouvoir de suggestion qui entre en résonance avec les mouvements des danseuses.

Carnaval de Rio ©Marcelo Sayo

 

Carnaval de Venise ©linternaute voyage

 

Le Moulin Rouge ©Sandie Bertrand

 


Un objet de pouvoir

Cependant, l’éventail en plumes ne se résume pas au monde du spectacle mais trouve ses origines dans des temps bien plus anciens, quand il s’agissait (au-delà de s’éventer, de chasser les insectes ou d'attiser le feu) de montrer son prestige : une autre forme de spectacle dirons-nous, qui pour ce sujet concernait les hommes ou les femmes les plus puissants de leur temps.

Un extraordinaire exemplaire orné de plumes d’autruche a été ainsi découvert intact dans la tombe de Toutankhamon : c’est dire s’il s’agissait d’un objet de luxe, sensé en l’occurrence redonner son souffle au défunt. Le motif central d’un autre éventail présent dans la tombe représente d’ailleurs Pharaon chassant l’autruche.


Une variante de l’éventail à main est le flabellum, un éventail monté sur une longue hampe portée par un serviteur. En Egypte, de nombreux flabellums ornés de plumes d’autruche ou de paon sont peints sur les fresques murales. Pour le plaisir, en voici une représentation haute en couleurs et joyeusement kitsch, imaginée par l’artiste britannique Lawrence Alma Tadema (Moise sauvé des eaux par la fille de Pharaon, 1904). 

En Inde, le flabellum en plumes contribue à l’aura des Maharadjahs, comme sur cette ancienne photo où parade le Maharadjah de Patiala à dos d’éléphant. On y voit un serviteur (du moins son bras) éventant le prince d'un panache de plumes blanches.

Plus surprenant, des flabellums sont présents dans la liturgie catholique jusqu’en 1965, date du concile Vatican II qui simplifie les cérémonies (ci dessous à G: Pie VIII peint par Horace Vernet, 1829). On en trouve d’ailleurs encore quelques exemples, ainsi avec ce somptueux flabellum en plumes de paon lors de la procession des reliques de St Liboire en Allemagne, à Paderborn.


Un objet exotique

Au-delà du prestige de l’objet, l’attrait pour tout ce qui relève de l’exotisme a éveillé l’intérêt des publicitaires qui très tôt mettent en scène des éventails à plumes dans leurs réclames, comme sur cette ancienne iconographie dédiée à une marque de chocolat !

Au 18ème s. le mouvement artistique de l’orientalisme traduisait déjà la fascination des occidentaux pour l’Orient et le Maghreb. En voici un célèbre exemple avec le tableau d’Ingres, la Grande Odalisque (1814) qui, dans une atmosphère de harem, tient à la main un riche éventail orné de plumes de paon.

Ces deux représentations sont semblables en ce qu'elles véhiculent le même fantasme de la femme orientale, lascive et vouée aux plaisirs de son maître ...


Un objet de luxe

L’éventail en plumes a fait les beaux jours des élégantes : ainsi Elisabeth 1ère disposait d’une grande collection d’éventails fixes (non pliants) dont voici un exemplaire orné de plumes exotiques luxueuses. Les créations du début 20ème s. sont tout aussi raffinées avec ce superbe éventail à monture d’écaille ayant appartenu à Alexandra, épouse du futur roi d’Angleterre Edouard VII, et cette autre pièce ornée d’une multitude de plumes bleues de geai


Dans la création contemporaine, quelques éventaillistes perpétuent le métier en le renouvelant. Il en est ainsi de cette œuvre florale signée Sylvain Le Guen, maitre d’art éventailliste, réalisée en collaboration avec la plumassière Émilie Moutard Martin. Et si vous souhaitez aller plus loin, rendez-vous sur le site internet du musée de l’éventail qui perpétue ce précieux savoir-faire du patrimoine français www. annehoguet.fr

 


Et à présent, tadam….. une belle surprise en plus pour cet article:   La parole de l’expert !

 En effet, à chaque fois que je le pourrai, je donnerai la parole à un autre artisan, expert du domaine, car rien ne vaut le vécu pour partager toutes les passions !  

Pour cette première, merci à Yolaine Voltz, restauratrice d’éventails, qui a accepté de nous en dire plus en 6 questions !

La Parole de l'Expert : Yolaine Voltz, restauratrice d'éventails

  • Bonjour  Yolaine ! J’adore le nom de ton atelier  "L’Utile Zéphyr". Pourquoi l'as-tu choisi ?

Bonjour Anne ! Je suis heureuse que ce nom te plaise. Je l'ai découvert pendant mes études lors de mon master de restauration et de conservation: en lisant un ouvrage j'ai appris que c'était l'un des sobriquets que l'on donnait aux éventails au 18ème siècle ... je l'ai immédiatement adopté ! 

  • Peux tu nous dire comment on choisit et devient éventailliste ?

C'est le hasard qui m'a amenée à pousser la porte du musée de l'éventail pour y réaliser mon stage en 3ème année de Master et je suis tombée complétement amoureuse de l'objet pour sa complexité et le challenge qu'il représente en terme de restauration.C'est à la fois un objet articulé et composite (plusieurs matérieux très  différents) et un chef d'oeuvre de miniaturisation ! C'est aussi un objet qui présente de multiples visages, à la fois "tableau portatif" et accessoire de mode, il représente son époque, y compris dans sa dimension géopolitique ! Par exemple, des éventails ont célébré l'arrivée de la 1ère girafe en France (1827) ou les premiers vols en mongolfière (1783).

 


Il n’y a pas de formation existante pour se former au métier d’éventailliste, cela nous fait cruellement défaut ! Surtout quand on sait qu’il fallait le concours d'une vingtaine de professionnels différents pour réaliser un éventail à son âge d’or ( 18-19e siècle). Aujourd’hui, si l’on souhaite faire de l’éventail son métier, que ce soit dans sa création ou dans sa restauration, il est absolument indispensable d’être bien entouré, car c’est par la transmission orale et auprès des artisans d’art dans leurs ateliers que l’on va se former.

 

 J’ai donc d’abord appris la restauration et la conservation d’oeuvres d‘Arts Graphiques, dans un Master Européen de niveau 2. J’ai fusionné cette formation avec des stages en restauration d’éventails, notamment au Musée de l’éventail de Paris, auprès du Maitre d’Art éventailliste Madame Hoguet, puis j’ai été l’élève du Maitre d’Art tabletier-éventailliste Sylvain Le Guen.

J'ai aussi été accueillie à bras ouverts par les associations française "Le Cercle de l'Éventail" , anglaise " The Fan Circle International" et américaine "The Fan Association of North America" qui m'ont beaucoup aidée à me former l'oeil en me permettant d'admirer de fabuleuses pièces de collection auprès de passionnés d'éventails.

C’est grâce à toutes ces personnes que j’ai pu devenir la spécialiste de la restauration d’éventails que je suis aujourd’hui et je les en remercie !

  • Que fais tu exactement dans ton métier ?

Je suis spécialisée dans la restauration d’éventails (je restaure aussi des globes anciens) : contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est très vaste !  

Les musées, collectionneurs et antiquaires me confient leurs éventails pour renforcer les déchirures que présentent les feuilles, des brins cassés dans la monture des éventails ou encore pire : combler des lacunes , c’est à dire compléter la feuille lorsqu’elle est « trouée », ou « refaire » un brin lorsqu’il en manque. Dans cette dernière situation, j’utilise souvent des brins qui viennent d’éventails de la même époque dont je dispose dans mon fonds de « pièces détachées » : j’achète énormément d’éventails irrécupérables, ou des fonds d’atelier d’éventaillistes, afin d’avoir le plus de ressources possibles.

  • Je crois que tu as quelque chose à ajouter sur les éventails en tant qu’arme de séduction ?

Oui ! « L’éventail fut à la femme du 19e siècle ce que l’épée était à l’homme : un  instrument de persuasion. Ainsi, la société de l’époque décrit cet objet devenu, en de féminines mains, le  bras armé  de la séduction ». (P. Mesmer, « L’art du Vent », 2002).

Voilà qui pose bien la situation ! L’éventail est un formidable partenaire de minauderie. Il permet de voir sans être vue ( certains modèles, ajourés, portent le nom de « madame sans-gêne » !), de dissimuler une partie de son visage, d’en pointer d’autre… Tout comme les femmes jouent avec leurs mèches de cheveux, elles ont vite associé l’éventail à leurs jeux de séduction.

 

Une très grande maison d’éventailliste du début du 19e siècle, l’une des dernières - si ce n’est LA dernière ! - qui ai survécu en France, la Maison Duvellero, l’a très bien compris et a su raviver l’attractivité de l’éventail en inventant « Le langage de l’éventail » : c'est un petit lexique amusant qui permettrait aux dames d’exprimer des intentions précises grâce au placement et/ou au maniement de leur éventail. Opération marketing réussie : le mythe a pris, les éventails se sont à nouveau bien vendus  …. et la croyance persiste !


 

  •  As-tu déjà restauré des éventails emplumés ?

Tout à fait ! Souvent de petites plumes sont manquantes ou décollées. La plupart du temps, c’est le lien qui réunit tous les brins de l’éventail qui est rompu, ou la monture qui est cassée. Lorsque des interventions plus importantes sont nécessaires, comme reproduire un motif, remplacer une large zone, traiter les plumes abîmées… Alors je préfère transmettre l’oeuvre aux spécialistes de cette discipline, les plumassiers. Il est essentiel de savoir connaître ses limites et transmettre aux personnes plus compétentes lorsque la situation se présente, pour éviter le risque de faire plus de mal que de bien à ces oeuvres déjà si fragiles.

 

Je ne résiste pas à partager avec vous l’une de ces restaurations, sur un éventail emblématique de la Maison Duvelleroy, en plumes de paon sur une monture en nacre teintée , à motifs de plumes...une vraie merveille !

 

Crédit photo Fonds Duvelleroy


Et voici un autre exemple de restauration impliquant le remontage complet d'un éventail en plumes d'autruche et nacre Burgau :


  • Et pour finir, où peut on voir ton travail ?

J'ai un site internet (www.lutilezephyr.com), mais je suis surtout active sur Instagram et sur Facebook (#atelierlutilezephyr ). Je partage également avec plaisir ma passion lors de conférences, l’écriture d’articles ou la participation à des ouvrages collectifs. Ce métier est trop peu connu, et ne manque jamais d’attiser la curiosité lorsqu’on le découvre : le faire connaitre est un plaisir sans cesse renouvelé dont je ne me lasse jamais !

 

Je te dis un grand merci, chère Anne, pour cet échange bien agréable, et vous quitte avec la photo d’un éventail en plumes de Lophophore et monture de Nacre, que j’ai découvert dans une collection privée il y a bientôt dix ans, et qui est un de mes plus gros de coeur ! 


Crédits photo: photographie et collection OJPP                                                                                    Le lophophore resplendissant aux plumes métallisées

 

Merci à toi, Yolaine, d'avoir su nous faire partager ta passion !!!

Et merci à vous, lecteurs, de nous laisser ci dessous vos avis et commentaires !

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Commentaires: 4
  • #1

    Peretti Florence (lundi, 21 mars 2022 16:45)

    Un très grand BRAVO pour la pertinence des informations et la qualité des photos qui donnent envie de s'envoler! J'ai appris beaucoup de choses. Merci de nous faire partager votre passion et bonne suite.

  • #2

    Alithéa Lafaye (mercredi, 23 mars 2022 14:07)

    Passionnant, très bien écrit et instructif!! L'interview est une super bonne idée pour faire vivre l'article !

  • #3

    voltz (jeudi, 12 mai 2022 10:21)

    Un grand MERCI pour cette jolie collaboration, je suis très flattée d'être associée à votre art pour cette occasion ! Bravo pour la qualité de vos articles... sans parler de celles de vos merveilles <3

  • #4

    Le Breton Jacques. (vendredi, 13 mai 2022 15:21)

    C'est toujours pour moi un très grand plaisir, de découvrir des articles concernant les artisans d'Art, dont j'ai un immense respect : leur travail consiste à préserver, et redonner toute la valeur des objets souvent de collection, parvenus jusqu'à nous, et bien souvent en mauvais état !
    En intervenant directement sur leur structure physique, l'artisan d'Art leur redonnent un état qui se rapproche le plus de celui de son origine. C'est souvent une prouesse que j'avoue être, admirable !